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Enquête spéciale- Stade Général Lansana Conté : “110 millions de dollars ?” – Autopsie d’un mensonge d’État, racontée par un chasseur de vérité (Par Siba Beavogui)

J’ai regardé cette image. Encore et encore. Le Stade Général Lansana Conté, vu du ciel, comme un corps abandonné. Un cratère de béton, rouge et gris, où la pelouse n’a jamais poussé. On m’a dit : « Ce chantier a coûté 110 millions de dollars. »

Alors j’ai pris ma lampe. Mon carnet. Mes lunettes de vérité. Et je suis parti en chasse.

Je suis journaliste. Chasseur de mensonges publics.

Acte I – Le chiffre du choc

110 millions de dollars. Ce n’est pas une rumeur. C’est le ministre des Sports lui-même qui l’a déclaré. Devant les caméras.

Avec assurance. Sans trembler.

Mais ce que mes yeux voient sur cette photo, ce que mes pieds ont foulé autour de Nongo, ne vaut même pas un quart de ce montant.

• Les gradins sont décolorés.

• La pelouse est devenue poussière.

• La piste d’athlétisme est une cicatrice.

• Aucun système d’accès moderne, aucune signalétique, aucun éclairage de stade international.

J’ai vu des stades en Afrique. J’ai enquêté à Japoma (Cameroun), Diamniadio (Sénégal), Ebimpé (Côte d’Ivoire). J’ai lu les contrats, interrogé les ingénieurs.

Leur coût moyen ? Entre 180 et 270 millions de dollars, pour des complexes neufs, avec hôtels, gymnases, salons VIP, écrans géants, systèmes anti-incendie.

Ici, à Conakry, on parle de rénovation, pas de construction. Pourtant, on nous facture un gouffre. Alors j’ai posé la question : Où est passé l’argent ?

Acte II – Le stade fantôme

Officiellement, ce stade devait devenir une “vitrine du sport guinéen”. Officieusement, c’est devenu un point de fuite budgétaire.

J’ai cherché le plan détaillé. Rien.

J’ai cherché les appels d’offres. Introuvables.

J’ai interrogé les techniciens. Beaucoup ont quitté le projet sans explication.

Alors j’ai regardé les chiffres. Au Cameroun, le stade d’Olembé (60 000 places) a coûté environ 280 millions de dollars – et il comprend un hôtel, une piscine olympique, des salles d’entraînement.

À Nongo, pas d’hôtel. Pas de salle de presse. Aucune technologie de diffusion télé. Seulement du silence et de la poussière.

Acte III – La mécanique du pillage

Le sport est devenu, dans ce pays, un prétexte doré pour piller en silence.

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On met en avant la jeunesse, les compétitions africaines, les ambitions olympiques. Et derrière ces discours lisses, on siphonne les caisses de l’État.

J’ai remonté les pistes. J’ai croisé des entreprises-écrans, des contrats sans justificatifs, des chantiers supervisés par des militaires sans compétence technique.

Et toujours la même méthode : surfacturer. Multiplier les lignes. Fragmenter les responsabilités.

À la fin, personne ne sait ce qu’a coûté quoi. Mais le contribuable paie. Et la jeunesse attend.

Fiche technique – Le coût réel d’un stade comme celui-ci

• Capacité : 50 000 places

• Prix moyen observé pour une rénovation complète : 60 à 80 millions de dollars

• Prix des stades africains récents de même gabarit (neufs, ultra-équipés) : 180 à 300 millions de dollars

• Éléments standards inclus : pelouse, gradins, piste, éclairage, vestiaires, loges, équipements de sécurité

• Ce que l’image montre : un chantier inachevé, sans technologie, sans installations périphériques.

Donc non, 110 millions de dollars n’est ni crédible, ni défendable.

Acte IV – Résister, documenter, exiger

Ce rapport est un cri.

Un cri documenté. Un cri d’amour pour le sport. Pour la vérité. Pour ce peuple guinéen qu’on humilie avec des chiffres maquillés et des chantiers fantômes.

Je demande aujourd’hui :

• Un audit technique indépendant, conduit par une mission conjointe CAF – FIFA – Cour des Comptes.

• Une publication intégrale des contrats, des versements, des sous-traitances.

• Une suspension immédiate de tout nouveau décaissement tant que la transparence n’est pas totale.

Épilogue – Le stade comme miroir

Ce n’est pas un simple stade. C’est le miroir d’un système. Un pays où le béton sert de blanchiment. Où l’infrastructure devient l’illusion.

Mais il y a des chasseurs de vérité. Des voix. Des plumes. Des regards lucides.

Et tant que nous serons là pour regarder au-delà du vernis, pour compter les briques, pour suivre les lignes budgétaires…Le mensonge ne pourra pas courir éternellement.

Siba Beavogui

Journaliste, veilleur de conscience

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