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Guinée – Quand l’État vole l’État

200 millions de tonnes de bauxite exportées… et un Trésor public en apnée

Une abondance qui ne nourrit pas!
Record battu. En 2025, la Guinée expédie vers les ports chinois, émiratis et asiatiques près de 200 millions de tonnes de bauxite. Dans les bilans officiels, c’est la success-story d’un géant minier africain. Dans les rues de Conakry, c’est tout l’inverse : pénuries de liquidités, salaires en retard, inflation galopante.

Question simple : comment un pays qui vend l’une des matières premières les plus demandées au monde peut-il rester à court d’argent ? La réponse tient en un mot : captation.

Les chiffres qui dérangent : Sur le marché mondial, la tonne de bauxite se négocie entre 74 et 95 $ cette année, avec des pics à 130 $.
Appliqué aux 200 millions de tonnes exportées :
• Scénario bas : 14,8 milliards $ (980 $ par Guinéen)
• Scénario médian : 17,0 milliards $ (1 126 $ par Guinéen)
• Scénario haut : 19,0 milliards $ (1 258 $ par Guinéen)

En théorie, les redevances minières (3 %), la taxe locale (1 %) et la taxe à l’export (4 $/t) devraient rapporter 1,4 à 1,6 milliard $ au budget national – environ 100 $ par citoyen.

En pratique, l’argent se volatilise.

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La mécanique du siphon : l’enquête révèle un schéma récurrent :
1. Sous-facturation et prix de transfert – Les cargaisons quittent la Guinée à un prix “ami” vers des filiales offshore, où la vraie valeur est encaissée.
2. Manipulation des volumes – Jeux sur l’humidité, la teneur en alumine et les taux de rebut pour minorer la base taxable.
3. Exonérations sur mesure – Des conventions minières verrouillent les taux, même quand les prix explosent.
4. Taxe figée – Les 4 $/t ne suivent pas la flambée du marché.
5. Flux opaques – Comptes hors budget, avances gagées, et “droits portuaires” monétisés en coulisse.
6. Pas de transformation locale – L’alumine et la valeur ajoutée partent à l’étranger… avec les recettes fiscales potentielles.

Plus on exporte, moins il reste! La courbe est éloquente :
• 2020 : ~87 Mt exportées
• 2024 : ~146 Mt
• 2025 : ~199 Mt (projection annuelle)

Résultat : l’économie réelle ne voit pas la couleur des milliards générés. Le pays exporte à perte, tandis qu’un cercle restreint capte les dividendes de ce boom minier.

Quand l’État se camoufle en prédateur : Ici, pas besoin d’un ennemi extérieur : l’État lui-même devient complice. Par l’opacité, la complaisance contractuelle et l’absence de contrôle, le pouvoir transforme la ressource nationale en rente politique et personnelle.

Les mines devraient financer écoles, hôpitaux, infrastructures. Elles financent aujourd’hui le silence, la loyauté et la peur.

Le vrai enjeu: Ce n’est pas seulement une affaire de chiffres. C’est une question de souveraineté. Tant que la Guinée laissera filer ses revenus miniers dans des circuits opaques, le peuple paiera deux fois : d’abord en perdant sa richesse, ensuite en subissant la pauvreté qui en découle.

Par Siba Béavogui

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