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250 millions de dollars vs 22 millions USD : quand le budget d’un ministère entier est inférieur à la facture de deux stades, c’est le monde à l’envers dans une mare de mensonges d’État

Le budget annuel du ministère de la Jeunesse et des Sports en Guinée, ces trois dernières années, a oscillé entre 180 et 220 milliards de francs guinéens. Cela équivaut à peine à 18 à 22 millions de dollars américains. Autrement dit, le budget complet d’un ministère de souveraineté en République de Guinée ne suffirait même pas à financer 10 % du projet que son propre ministre affirme avoir déjà réalisé.

Deux hypothèses s’imposent : soit les 250 millions de dollars annoncés par le ministre Kéamou Bogola Haba proviennent de financements extérieurs mystérieux — jamais détaillés, jamais débattus —, soit nous sommes face à une escroquerie politique à ciel ouvert. Un rideau de fumée budgétaire destiné à masquer une inflation artificielle des coûts, des surfacturations en cascade, et peut-être même des détournements bien organisés.

Quand un ministre guinéen parle chiffres, le peuple doit sortir sa calculette. Mais lorsqu’il parle de stades, il faut carrément sortir le détecteur de mensonge.

Dans une déclaration relayée par Africaguinee.com, Kéamou Bogola Haba affirme sans sourciller que la Guinée aurait déjà investi plus de 2 500 milliards de francs guinéens — soit environ 250 millions de dollars — dans la rénovation du stade de Nongo et du stade du 28 septembre. Et comme pour préparer l’opinion à un délire encore plus grand, il annonce que le budget total pour la construction de tous les stades nécessaires à une éventuelle CAN s’élèverait à 8 000 milliards, soit 800 millions de dollars.

Une déclaration aussi spectaculaire qu’irresponsable. Car derrière cette avalanche de chiffres se cache sans doute l’un des plus gros mensonges budgétaires de la transition guinéenne.

Oui, à taux de change moyen — 10 000 GNF pour 1 USD — les 2 500 milliards équivalent bien à 250 millions de dollars. Mais dans quel pays d’Afrique subsaharienne dépense-t-on un quart de milliard de dollars pour deux stades partiellement rénovés, sans calendrier sportif, sans événement continental prévu, sans audit public, sans fiche technique publiée, sans match international à l’agenda ?

Dans des pays comme l’Algérie, le Rwanda ou la Côte d’Ivoire, les coûts des stades récents ou rénovés sont largement inférieurs. À Alger, un stade flambant neuf de 40 000 places a été livré pour environ 100 millions de dollars. À Kigali, la rénovation complète d’un stade homologué FIFA n’a pas dépassé 18 millions. À Abidjan, le Stade d’Ebimpé, joyau de la CAN 2024, a coûté 143 millions pour une capacité de 60 000 places, avec toutes les commodités modernes.

Et pendant ce temps, en Guinée, deux stades à moitié fonctionnels, dont l’un n’a jamais été achevé et l’autre tombe en ruine depuis une décennie, auraient englouti à eux seuls 250 millions de dollars ? Même avec les meilleures intentions du monde, cette affirmation est insoutenable.

D’autant plus que les chantiers parlent d’eux-mêmes. Le stade de Nongo, lancé il y a plus de quinze ans, n’a jamais été achevé. Il reste un projet-fantôme, rouvert puis refermé au gré des humeurs gouvernementales. Le stade du 28 septembre, quant à lui, est censé “renaître”. Mais aucune image des travaux, aucun plan 3D, aucun calendrier public, aucun audit technique n’a été présenté à la société civile. Rien ne circule, sinon les rumeurs.

Le site donne plutôt l’impression d’un maquillage cosmétique. Une couche de peinture ici, quelques engins là, des ouvriers invisibles. Et pendant ce temps, le ministre balance les millions comme s’il parlait de primes de vestiaire.

Ce qui dérange, ce n’est pas seulement le montant. C’est l’opacité totale. Aucun appel d’offres crédible n’a été publié. Aucun nom d’entreprise adjudicataire n’est connu. Aucune traçabilité des fonds publics. Aucune transmission de documents à l’Assemblée ou à la Cour des Comptes. Le néant administratif derrière une montagne de chiffres.

(Et si c’était vrai ?)

À quoi ressembleraient les stades de Nongo et du 28 septembre si 250 millions de dollars y avaient réellement été injectés ?

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Imaginons un instant que la déclaration du ministre soit exacte. À ce prix, la Guinée ne disposerait pas de deux stades rénovés, mais de deux complexes sportifs ultramodernes, dignes des standards européens ou asiatiques les plus élevés.

Chaque stade serait équipé d’une pelouse hybride haut de gamme, d’un système d’irrigation automatisé, d’un éclairage LED homologué FIFA, de tribunes couvertes et numérotées, d’un écran géant 4K, d’un son immersif, de caméras de captation internationales, de vestiaires climatisés, de zones VIP, d’un musée du sport, d’un centre de presse numérique, d’un complexe d’entraînement intégré, d’une clinique médicale, de dortoirs pour athlètes, de restaurants panoramiques et de parkings à étages.

Et ce n’est pas de la fiction : ce sont les standards réels pour des stades construits pour 100 à 150 millions USD dans le Golfe ou en Afrique du Nord.

Mais à Conakry ? Rien de tout cela. Le stade de Nongo prend la poussière. Le stade du 28 septembre est un chantier-fantôme. Aucun complexe moderne, aucun centre d’excellence, aucun signal fort. Juste des ruines repeintes.

Donc non, 250 millions de dollars n’ont jamais été investis dans ces deux stades.
Et si c’est réellement le cas, alors chaque brique devrait être en or, et chaque gradin tapissé de billets verts.

Mais le scandale ne s’arrête pas là.

Pourquoi le ministre parle-t-il encore de la CAN alors que la Guinée n’est plus candidate ? Aucun calendrier officiel, aucun contrat avec la CAF, aucune mission d’évaluation ne confirme une relance du dossier.

Et où va l’argent ? Les stades sont vides. Les clubs locaux survivent à peine. Les jeunes s’entraînent sur des terrains vagues, souvent sans ballons ni équipements. Les écoles de sport sont inexistantes. Les tournois régionaux ont disparu. Il ne reste que les discours, les chiffres et l’illusion.

Enfin, pourquoi ce silence institutionnel ? Où sont la Cour des Comptes, l’Inspection Générale d’État, l’Assemblée nationale ? Comment un ministre peut-il évoquer 250 millions de dollars dans les médias sans qu’aucune autorité ne s’en émeuve ?

Il est temps de réclamer la vérité, chiffres à l’appui.

Il faut désormais exiger un audit technique et financier indépendant, mené par des cabinets extérieurs, sur les travaux du Stade de Nongo et du Stade du 28 septembre. Il faut imposer la publication complète et sans filtre de tous les contrats, avenants, factures, paiements et cahiers des charges liés à ces projets. Et surtout, il faut saisir officiellement la Cour des Comptes et l’Inspection Générale d’État pour faire toute la lumière sur ce qui ressemble de plus en plus à une mascarade budgétaire.

En République de Guinée, les stades ne peuvent plus servir de vitrines pour discours creux et montages financiers douteux.
Ils doivent redevenir ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être : des lieux d’effort, de mérite et de vérité.

Et dans cette vérité, aucune place ne doit être laissée aux mensonges comptables.

Par Siba Béavogui, Enquête spéciale

 

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