Par arrêté de ce lundi 21 mai, M. Fana Soumah, ministre de l’information et de la communication, a acté le retrait des agréments d’installation et d’exploitation de quatre des principaux médias privés de Guinée, en l’occurrence Fim Fm, Djoma média, Radio Espace FM et Sweet FM. Cette décision constitue le couronnement de la série d’actes hostiles à travers lesquels les autorités de transition tentent depuis plusieurs mois d’étouffer et d’éteindre ces médias.
Une régression incommensurable
Que la libéralisation des ondes en Guinée ait été obtenue au bout d’une lutte de longue date semble importer peu aux yeux des autorités de transition. Si l’histoire retient que c’est un président mourant, à bout de souffle, qui a concédé l’ouverture des médias libres et indépendants en Guinée en 2006, c’est fort malheureusement, un jeune président de transition, qu’aucun Guinéen d’aucune contrée du pays n’a choisi, qui a décidé de mettre fin au droit de nos compatriotes de s’informer librement sans interférence de l’État. M. Bah Oury, Premier ministre du gouvernement de transition, lors de sa rencontre avec les professionnels de la presse leur avait d’ailleurs fait savoir le mécontentement du général Mamadi Doumbouya à l’égard de certains journalistes qui auraient, semble-il, reçu rétribution pour se placer dans l’esprit du CNRD. Le Premier ministre a manqué de leur faire comprendre clairement et directement qu’il était attendu d’eux de se transformer en ventriloque de la junte. Les sous-entendus de cet échange allaient pourtant dans ce sens. Les responsables de médias ne l’ont pas perçu. Peut-être ont-ils sciemment refusé d’y prêter une oreille attentive ? Pour le général toutefois, telle était la seule condition pour garantir la survie de ces organes de presse. Sans doute trop jaloux de leur liberté, les medias privés ont gardé l’espoir de pouvoir résister. La fin a malheureusement et tragiquement sonné en ce 22 mai 2024, date à laquelle cette décision du ministre a été signifiée aux différents médias concernés. L’illégalité de cette décision ne porte l’once d’aucun doute. Mais le mal est fait. C’est la loi du plus fort qui régit désormais les rapports entre les gouvernants et les gouvernés dans ce pays. En tout état de cause, le cercueil de la presse libre et indépendante de Guinée portera donc, à compter de cette date, la marque du CNRD.
Des journalistes comme gardiens de cimetière pour enterrer la liberté de presse et d’information en Guinée
Telle une ironie, ce sont des acteurs du métier, des personnes autrefois considérées comme des monuments dans le milieu de l’information qui sont aujourd’hui entrain de démanteler ce qui reste d’une presse libre et indépendante dans notre pays. La politique de la carotte et du bâton maniée par d’autres dictateurs n’a désormais plus cours avec les militaires incultes du CNRD. À l’inverse, c’est un double bâton qui est à l’œuvre pour réprimer les médias et ses professionnels : Le premier bâton est tenu par M. Boubacar Yacine Diallo, président de la Haute autorité de la communication (HAC), organisme pourtant chargé par le législateur de défendre les intérêts de la presse et des médias du pays à travers notamment la promotion du pluralisme de cette presse. Cette autorité s’est transformée en un instrument d’exécution du programme de harcèlement des journalistes qui souhaitaient exercer leurs métiers en toute indépendance. Des sanctions et des suspensions s’abattaient ainsi régulièrement sur eux depuis quelques mois, symbole sans nul doute du début de la mise en œuvre du programme d’une Guinée sans médias qui ne soient pas sous la coupe des autorités de transition.
Quelle tragédie donc que l’organe chargé de promouvoir le pluralisme des médias soit celui qui a posé continument des actes pour détruire ce pluralisme !
Le second bâton est tenu par M. Fana Soumah, ancien directeur général de la RTG, qui vient de signer l’acte de décès pur et simple de ces médias privés en leur retirant leurs droits d’émettre sur le territoire national. La junte s’en cachait jusque-là, l’effacement de ces médias du paysage audiovisuel guinéen est désormais opérationnel et clairement assumé. Il aura fallu un journaliste pour porter cette décision que la junte souhaitait prendre depuis le début de la transition. En procédant ainsi, ce journaliste a renié ses valeurs et a tourné le dos à sa corporation. Le coup de poignard dans le dos est ainsi fatal. Mais il n’en a cure.
Pour MM. Fanah Soumah et Boubacar Yacine Diallo, leurs confrères peuvent périr, ils n’ont rien à cirer de leurs sorts. Leurs familles peuvent se retrouver sans le sou, ce n’est pas leurs problèmes. Leurs poches, la défense de leurs intérêts personnels et surtout ceux du CNRD passent avant tout. La probité et la défense de l’intérêt général que commandent l’occupation des postes de responsabilité attendront. D’ailleurs, il fallait s’y attendre. Faut-il rappeler que ces personnes ont fait allégeance à Mamadi Doumbouya, le nouveau « Napoléon de Nabaya », au vu et au su de tous ? Tel est aussi le cas de tous les cadres qui se sont engagés auprès de cette junte militaire et qui ont dès lors choisi de servir une poignée d’individus au détriment des intérêts de leurs propres pays.
Qui l’eut cru ? des journalistes qui tuent le journalisme. L’ennemi de l’intérieur a sévi. Il paraissait pourtant proche des victimes, mais il n’a guère hésité à porter ce coup de poignard mortel dans le dos. Souvenons-nous par ailleurs que M. Bah Oury a affirmé lors de sa cérémonie de prestation de serment qu’il jure de défendre « les intérêts supérieurs du CNRD et de son président ». Eh bien, ces journalistes et tous les autres cadres supérieurs qui servent le CNRD s’inscrivent dans cette logique. Les intérêts supérieurs du CNRD d’abord, ceux du pays attendront. Quelle tristesse !
Toujours mieux de confisquer le pouvoir à huis clos
L’accélération de la mise en œuvre du programme de confiscation du pouvoir par la junte militaire ne peut avoir de témoins. Tout doit se faire à l’abri des regards. À huis clos de préférence. Les récentes prises de parole de M. Bah Oury, dans des médias étrangers de surcroit, laissent entendre que seul le référendum constitutionnel pourrait se tenir avant la fin de cette année. Il en résulte que le retour à l’ordre constitutionnel n’interviendra pas en 2024, à en croire ces propos pourtant en flagrante contradiction des engagements librement souscrits par le CNRD. Ces déclarations du Premier ministre consacrent officiellement le début de l’implémentation du processus qui doit conduire à imposer aux Guinéens une prolongation indéfinie de la transition, sans ménagement ni négociation.
Dans ces conditions, l’existence de médias qui regorgent en leur sein des chroniqueurs éclairés, capables d’exprimer librement leurs opinions, constitue semble-t-il, un caillou dans les chaussures des autorités de transition dont il fallait à tout prix se débarrasser. Ces journalistes qui ont fini par comprendre, pour certains, l’impérieuse nécessité de lutter et de survivre aux nombreux actes de sabotage posés par le régime de transition ont fini par se convaincre qu’il leur revenait aussi de faire comprendre à nos compatriotes la dangerosité de la décision unilatérale des autorités de transition de faire avaler aux Guinéens, de gré ou de force, la grosse couleuvre d’une transition à durée indéterminée. Il faut donc s’en débarrasser à tout prix semble dire la junte militaire. C’est à ce titre qu’est tombée cette décision du retrait des agréments de ces médias privés. La confiscation du pouvoir se fera donc avec le récit proposé par le seul CNRD et ses relais médiatiques. Le Koudéisme 2.0 pourra ainsi se déployer sans encombres ni ambages. Le peuple de Guinée ne verra que du feu dans les mensonges concoctés et marinés qui lui seront servis sur un plateau par les chaînes nationales.
Le 22 mai 2024, une date pour la postérité
La date du 22 mai va donc rester gravé dans nos mémoires. Il appartient toutefois aux Guinéens de déterminer le sens qu’il convient de lui donner : elle sera vue soit comme la fin des médias libres et indépendants dans notre pays, soit comme le début d’une lutte acharnée pour préserver la liberté de nos populations de s’informer en toute indépendance en dépit de la volonté des militaires incultes qui nous dirigent de contrôler l’information. Le choix qui sera fait par nos compatriotes vaudra en réalité pour la survie des derniers symboles de la démocratie dans notre pays pour les prochaines décennies.
Que les Guinéens choisissent de rester passifs en renonçant à leurs droits à une information libre et indépendante et non manipulée par les autorités provisoires du pays, c’est alors tout espoir de voir un jour la démocratie triompher dans notre pays qui sera douché et enterré pour longtemps. S’ensuivra par conséquent une série d’actes liberticides de même nature. La liste des organisations dont les agréments seront retirés s’allongera à coup sûr comme le bras. Les prochains sur cette liste seront sans nul doute les partis politiques. Ils seront dissous dans ces conditions sans remous et dans l’indifférence totale. Une telle attitude serait dans tous les cas du pain béni pour la junte militaire.
Ou alors, les Guinéens peuvent choisir de s’opposer enfin à cette dérive liberticide et suicidaire de la junte militaire. Pour ce faire, il est tout d’abord indispensable d’organiser une résistance. Les médias et les journalistes doivent se positionner en première ligne de cette résistance et continuer de faire connaitre leurs opinions aux Guinéens. Ils peuvent pour cela se servir de leurs comptes professionnels ou individuels sur les réseaux sociaux. Qu’ils s’expriment comme le font de nombreux blogueurs guinéens. Il est aussi nécessaire de penser recourir à une alternative peu explorée pour l’heure. Les webradio et les webtélés semblent à mes yeux une alternative viable. Les intellectuels du pays doivent aussi se saisir de ces outils pour continuer de faire entendre leurs voix sur la conduite de cette transition.
En dernier lieu, il faut avouer que la léthargie qui caractérise aujourd’hui les forces vives de Guinée peut surprendre. Le pays se meurt sous les décisions liberticides des autorités de transition mais les réactions de ces organisations politiques ou celles de la société civile restent timorées. Sans le savoir, elles jouent leurs survies. Il est temps d’agir. Et il faut agir rapidement et énergiquement. L’inaction ou une réaction de pure forme équivaudra à coup sûr à une mort certaine pour elles.
C’est au prix de cette seule lutte que la date du 22 mai 2024 restera comme celle ayant conduit au réveil des consciences des Guinéens pour éviter le Koudéisme 2.0 qui arrive.
LeJour LaNuit.