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Le « OUI » de la soumission nationale et de la compromission : une mascarade constitutionnelle en Guinée !

Le 21 septembre 2025, les Guinéens sont appelés à se prononcer sur un projet de nouvelle Constitution. Officiellement, il s’agit d’un retour à l’ordre constitutionnel après quatre années de transition militaire. Officieusement, c’est une opération de légitimation soigneusement emballée dans une campagne orchestrée à grand renfort de meetings, de slogans et de promesses.

De Koulé ou Yaketa pour les intimes dans Nzérékoré, à Dalein dans Labé, en passant par Fermessadou-Pombo dans Kissidougou, Kourémalé dans Siguiri et à Bagataïe (le pays Baga) en Basse Guinée, l’ensemble du pays vibre au rythme d’un « oui » omniprésent. Les discours s’enchaînent, les promesses pleuvent : routes bitumées, machines à coudre, barrages hydroélectriques… Le folklore électoral est bien rodé. Mais derrière cette ferveur populaire savamment mise en scène, une question fondamentale demeure : à quoi dit-on vraiment « oui » ?

Un « oui » mis en scène : la fabrique du consentement

Dans La fabrication du consentement, Noam Chomsky et Edward Herman démontrent comment, même au sein des démocraties libérales, les médias peuvent orienter l’opinion publique au service des intérêts dominants. Ce mécanisme devient encore plus visible et plus brutal lorsque le pluralisme politique est affaibli, voire suspendu.

Dans ces contextes, le consentement n’est plus un choix éclairé, mais un produit manufacturé.

En Guinée aujourd’hui, les campagnes électorales ne relèvent plus du débat démocratique, mais du spectacle politique. Le « oui » n’est pas une option parmi d’autres : c’est un rituel patriotique, un devoir moral, parfois même une bénédiction nationale. Les populations sont conviées à des rassemblements soigneusement chorégraphiés, où l’adhésion devient une performance collective. On ne débat pas, on acclame.

Les figures politiques locales qu’elles soient des « prétendus réformateurs » ou des transfuges politiques en série rivalisent d’enthousiasme pour mettre en scène leur allégeance. Les discours se parent de références historiques, les promesses de développement pleuvent comme les confettis d’un carnaval électoral : routes bitumées, machines à coudre, projets hydroélectriques… tout est bon pour séduire, convaincre, captiver. Le politique devient prestidigitateur, et le citoyen, spectateur d’un tour de magie dont il connaît déjà la fin.

Ce « oui » mis en scène n’est pas l’expression d’un choix libre. C’est le produit d’un marketing politique où l’adhésion est fabriquée, conditionnée, ritualisée. Et dans ce théâtre du consentement, la démocratie devient un décor, joli, mais creux.

Mais ce « oui » orchestré est-il réellement libre ?

Lorsque les principaux partis d’opposition sont suspendus, que la parole publique est monopolisée par les représentants du pouvoir, et que l’espace médiatique est verrouillé, peut-on encore parler de choix démocratique ? Le philosophe Jacques Derrida rappelait que dire « oui » engage, transforme, lie. Mais un « oui » arraché dans un contexte de déséquilibre politique devient un acte de soumission, non de conviction.

Le « oui » comme compromission : entre lassitude et renoncement

Dans Soumission, Michel Houellebecq brosse le portrait d’un intellectuel qui accepte un nouveau régime, non par conviction, mais par la lassitude donc par confort. Ce portrait résonne étrangement avec la situation guinéenne

Nombre de nos compatriotes, épuisés par les crises politiques à répétition, semblent prêts à dire « oui » non pas par adhésion, mais pour retrouver un simulacre de stabilité. Ce consentement résigné s’habille de discours convenus, portés par des figures politiques de premier plan et de surcroît issues de l’opposition (si tant est qu’on puisse encore les compter comme tels).

Louceny Fall, par exemple, affirme préférer « un pays régi par une constitution plutôt que de vivre dans un état d’exception ». Une déclaration qui, en surface, semble empreinte de bon sens, mais qui, à y regarder de plus près, révèle une logique circulaire : sortir d’un état d’exception pour mieux en graver un autre dans le marbre constitutionnel.

Le porte-parole « sans voix » du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo dans une de ses apparitions savamment scénarisées, dignes d’un épisode de série politique à suspense renchérit avec une assurance qui ferait presque oublier le vide du débat réel : « Toute personne qui a le sens de l’État ne peut pas préférer une situation d’exception. Une constitution est dynamique. Avec le temps, les années, elle évolue en amendements. On l’améliore. »

On saluera ici l’audace du premier celle qui consiste à énoncer des évidences comme s’il s’agissait de révélations et la souplesse intellectuelle du second, capable de plier les principes à la convenance du jour. Car, si l’on traduit ces propos en langage clair, il ne s’agit pas de sortir d’un état d’exception, mais de le pérenniser sous les oripeaux d’un texte fondamental. Une exception maquillée, légalisée, sanctuarisée.

Une constitution, selon la vision de Ousmane Gaoual Diallo n’est plus un socle de garanties, mais une matière malléable, une pâte à modeler entre les mains du pouvoir. Elle prend la forme du moment, épouse les contours de l’ambition dominante, se plie aux caprices du régime. Une souplesse politique et intellectuelle qui en dit long non pas sur la vitalité démocratique du pays mais sa propre plasticité idéologique.

Ce « oui » qu’on sollicite, qu’on réclame, qu’on proclame, n’est pas un acte de foi démocratique. C’est une compromission voire une soumission. Il sacrifie les principes de transparence, d’alternance et de pluralité sur l’autel d’une paix apparente, fragile et conditionnée. Albert Camus écrivait dans L’Homme révolté : «Le compromis est le renoncement à l’idéal.» En Guinée, le « oui » devient le symbole d’un renoncement collectif : renoncement à l’alternance, à la transparence, à la pluralité.

Une Constitution instrumentalisée : entre centralisation du pouvoir et trahison des promesses

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Le projet de nouvelle Constitution guinéenne, censé incarner un retour à l’ordre républicain, soulève de vives inquiétudes. Derrière les discours officiels sur la refondation et la démocratie pluraliste, se cachent des dispositions controversées qui traduisent une volonté manifeste de concentration du pouvoir.

Parmi elles, la création d’un Sénat, introduite sans débat public préalable dont un tiers des membres serait directement nommé par le président de la République. Une mesure qui, loin de renforcer le contre-pouvoir parlementaire, installe un organe partiellement inféodé à l’exécutif. Et que dire du coût faramineux d’une telle institution, dans un pays où les écoles manquent de bancs, les hôpitaux de médicaments, et les enseignants de salaires décents ? Cette gabegie constitutionnelle entre en contradiction flagrante avec les engagements initiaux du général Mamadi Doumbouya, qui promettait de se concentrer sur « l’essentiel » et de mettre fin aux dépenses inutiles.

Autre point de friction : l’instauration d’un septennat présidentiel, renouvelable une fois. Une durée qui semble taillée sur mesure pour prolonger le pouvoir en place, et qui a transformé le roitelet Dansa Kourouma, président du CNT, le chantre zélé de la soumission institutionnelle en modéré du système répressif.

Mais le plus inquiétant reste sans doute la « fabrique de monarque» que consacre cette Constitution. L’article 162 prévoit la création d’une Cour spéciale de justice pour juger le président en cas de haute trahison. Une avancée en apparence. Sauf que l’article 74 stipule que les anciens présidents bénéficieront d’une immunité civile et pénale pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions. Autrement dit, le président devient intouchable une fois son mandat achevé une garantie d’impunité qui vide de sa substance toute idée de redevabilité.

Ce projet ne refonde pas la République : il la reconfigure au profit d’un pouvoir centralisé, verrouillé, et protégé. Il ne redonne pas confiance au peuple : il le neutralise par des artifices juridiques. Une Constitution instrumentalisée n’est pas un socle démocratique c’est un outil de domination.

Dans ce contexte le « oui » devient un outil de légitimation d’un système verrouillé, où les institutions sont façonnées pour servir une vision unilatérale du pouvoir.

Dire « non » : un acte de dignité démocratique

Dire « non » en refusant de se rendre aux urnes, c’est encore possible. Et c’est peut-être, aujourd’hui, l’un des derniers gestes de résistance citoyenne.

Face à une campagne de « oui » omniprésente, saturée de promesses et de mises en scène, il est urgent de rappeler que le « non » est aussi une voix. Une voix lucide, une voix politique. Dire « non » et refuser de participer à ce vote, ce n’est pas rejeter la Guinée, c’est refuser une Constitution imposée sans débat, sans équilibre, sans garantie. C’est affirmer que le peuple mérite mieux qu’un plébiscite déguisé.

Le « oui » de la soumission et de la compromission ne doit pas devenir l’unique horizon politique. Il est temps de redonner au mot « non » sa dignité démocratique celle qui refuse l’imposture, qui réclame la transparence, qui exige le respect du peuple.

Refuser de voter, c’est résister. Dire NON, c’est exister.

Le 21 septembre 2025, on ne nous consulte pas. On nous conditionne. Derrière le vernis d’un référendum prétendument démocratique, se cache une mise en scène cynique : celle d’un pouvoir qui cherche à graver son règne dans le marbre constitutionnel, à sanctuariser l’impunité et à verrouiller l’avenir.

Mais nous ne sommes pas dupes. Le « oui » qu’on nous assène à coups de promesses creuses et de meetings spectaculaires n’est pas une expression populaire : c’est un piège. Un piège qui transforme la Constitution en instrument de domination, qui maquille l’exception en norme, et sacrifie la pluralité sur l’autel d’une stabilité factice.

Face à cette imposture, le « non » devient un cri. Un cri de dignité, de lucidité, de rupture. Dire « non », c’est refuser de cautionner un texte imposé sans débat, sans équilibre, sans transparence. C’est refuser de légitimer un pouvoir qui prospère sur notre silence et s’alimente de notre résignation.

Nous avons le droit de dire non. Le devoir, même. Car chaque bureau de vote déserté, chaque voix qui s’élève contre cette mascarade est une pierre jetée dans les rouages d’un système qui ne tient que par notre consentement forcé.

Le peuple guinéen mérite mieux qu’un plébiscite déguisé. Il mérite une Constitution authentique, née du dialogue, portée par l’espoir, fondée sur la justice. Et tant que ce droit lui est confisqué, le « non » reste son arme la plus puissante.

Alors non, nous ne plierons pas. Non, nous ne participerons pas à cette farce. Non, nous ne céderons pas notre voix à ceux qui veulent l’étouffer.

Parce qu’en Guinée, le silence n’est plus une option. Et que le refus de voter, ce « non » assumé, est désormais notre acte de résistance.

​​​​​​​​​Taliby Diané
Adjoint à la communication et à l’information UFDG FranceLe « OUI » de la soumission nationale et de la compromission : une mascarade constitutionnelle en Guinée !

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