De la guerre d’ego à l’exécution politique : récit d’une tragédie militaire.
Un officier discret, une trajectoire fauchée Sadiba Koulibaly n’était pas un homme de guerre, ni un chef de caserne bruyant. Il appartenait à cette génération d’officiers guinéens plus formés que promus, plus discrets que manœuvriers. Pieux, méthodique, et bardé de diplômes, Sadiba incarnait un profil rare dans une armée où le charisme martial l’emporte souvent sur la compétence technique.
C’est pourtant cet officier que le destin plaça au cœur de l’opération militaire du 5 septembre 2021, lorsque le colonel Mamadi Doumbouya et son groupe prirent le pouvoir par la force. Sadiba devint malgré lui une pièce stratégique du dispositif du CNRD. Et c’est sans doute à ce moment que son sort fut scellé.
L’ombre d’un conflit intérieur : le poids du complexe
Selon plusieurs sources proches des cercles de décision, la relation entre Mamadi Doumbouya et Sadiba Koulibaly fut marquée par une tension silencieuse. L’un, chef de la junte, issu des commandos formés à l’étranger mais peu lettré ; l’autre, stratège plus instruit, au langage posé mais aux convictions affirmées.
Cette rivalité sourde s’est transformée, selon nos informations, en obsession paranoïaque. Car Sadiba, en interne, ne masquait pas ses désaccords. Il parlait vrai, même au sommet, ce que Doumbouya — décrit comme profondément complexé par son parcours personnel et son manque de reconnaissance intellectuelle — ne supportait pas.
Les écoutes qui ont tout fait basculer
L’élément déclencheur de la descente aux enfers de Sadiba aurait été une série d’audios interceptés, selon une source sécuritaire, dans lesquels il échangeait avec des membres de la société civile et certains activistes. Ces enregistrements, sortis de leur contexte, ont été perçus comme des signes d’ambition personnelle, voire de tentation putschiste.
Doumbouya s’en saisit comme d’un levier pour convaincre le CNRD de l’écarter : d’abord en le nommant à un poste hors du jeu stratégique (ministère de l’Habitat), ce que Sadiba refusa, puis en l’expédiant comme ambassadeur. Une affectation qu’il accepta, à contre-cœur.
Une erreur de communication fatale
C’est depuis l’ambassade qu’une ultime imprudence scella le destin de Sadiba. Une communication téléphonique, interceptée, entre lui et un homme politique guinéen — accompagnée de quelques messages vocaux avec des influenceurs connus — fut interprétée comme une manœuvre de retour sur la scène politique.

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Pour ses proches, ces échanges n’étaient ni une tentative de saper la transition, ni une trahison. Mais Doumbouya, qui n’attendait qu’une justification pour se débarrasser de cet ancien camarade devenu trop encombrant, y vit l’occasion rêvée.
Un meurtre politique dans le silence du palais
C’est au palais Mohamed V que Sadiba Koulibaly fut arrêté, torturé puis exécuté dans des conditions encore floues. La scène a été filmée, selon une source militaire, non pas avec un téléphone personnel – interdit dans cette enceinte hautement sécurisée – mais via les caméras de surveillance du palais.
Un tel enregistrement ne peut exister sans l’aval du chef suprême. Chez les militaires, celui qui autorise le colis en zone rouge est celui qui valide son sort. Aucun membre du CNRD n’a les moyens de tuer dans le palais présidentiel sans l’autorisation expresse du président de la transition.
Doumbouya était donc le seul véritable donneur d’ordre, même si l’exécution fut collective. Il avait gagné sa guerre d’ego.
Une élimination politique déguisée
La mort de Sadiba n’est ni un accident, ni une dérive isolée. Elle est le symptôme d’un pouvoir militarisé, paranoïaque, allergique à la contradiction. Un pouvoir qui élimine ceux qui pensent autrement, même lorsqu’ils ont été des acteurs loyaux de la transition.
Dans cette affaire, blanchir les complices revient à insulter la vérité. Sadiba n’est pas tombé par erreur : il a été sacrifié parce qu’il était libre.
Et dans les régimes fondés sur la force brute, la liberté est le plus impardonnable des crimes.
Ce qu’il faut retenir
• Sadiba Koulibaly était un technocrate militaire respecté et pieux
• Il a été éliminé à cause de rivalités internes et de soupçons d’ambition
• Son exécution a été ordonnée depuis le sommet du pouvoir
• Sa mort illustre le danger de l’ego dans les régimes militaires
Par Siba Béavogui, le chasseur de vérité